Pulp

Je me joins aux lecteurs de Pulp qui ont souhaité, par cette lecture commune, rendre un hommage à leur ami Goran qui était un fervent admirateur de l’oeuvre de Charles Bukowski. Madame lit le blogue ici en a été l’initiatrice, Laboucheaoreille une messagère…

PULP de Charles Bukowski

«C’était encore mon bureau. Mais plus pour longtemps, puisque j’étais en fin de bail et que McKelvey devait fignoler les derniers détails de mon expulsion. Vu que l’air conditionné avait rendu l’âme, il y faisait aussi chaud qu’en Enfer. Une mouche se traînait sous mon nez. D’une chiquenaude bien appuyée, je la rayai du tableau, et j’étais en train de m’essuyer les doigts sur mon pantalon quand le téléphone sonna.  Je décrochai.
– Mouais, grommelai-je.
– Avez-vous lu Céline ?» (incipit)

La mort a de belles jambes

Mon premier roman de Charles Bukowski est son dernier, son chant du cygne. Connaissant la réputation sulfureuse de l’auteur, j’ai d’abord tourné autour du livre, voulant savoir, au moins un peu, où je mettais les pieds. Que signifiait le « Pulp » du titre? J’ai pensé au film de Quentin Tarentino « Pulp Fiction », mais cela ne m’aidait pas beaucoup. J’ai cherché une définition sur Wikipédia : « Magazine ou livre bon marché, composé de récits populaires (policiers, fantastiques, etc…), faisant de gros tirages aux États-Unis dans les années 20 et 30 ». Le titre collait donc parfaitement avec la dédicace , « À la littérature de gare », ainsi qu’avec le sujet du roman.

Un détective privé de pacotille mène des enquêtes plus délirantes les unes que les autres. Il porte un chapeau à la Bogart et a toujours un verre (plutôt deux) d’alcool à portée de main. Il s’appelle Nicky Belane et je lui prête les traits et la silhouette de Sam Spade, le détective du film Le Faucon maltais [1], faisant fi des quelques descriptions du héros données par le romancier. Comme Sam, Nick est à la recherche d’un oiseau, « le Moineau Écarlate ». A part cette référence à un oiseau, n’y voyez aucun rapport, cet univers déjanté est nouveau pour moi, je m’accroche à ce que je peux. « – Le Moineau Écarlate !… Bordel, c’est quoi ce piaf ? » [2]. Il doit aussi, à la demande de la sexy « Lady Death », qu’on « appelle aussi la Grande Faucheuse », retrouver Céline qui ne serait pas mort quoi qu’on en pense.

« – Sauf que Céline est mort. Lui et Hemingway sont morts à un jour d’intervalle. Il y a trente-deux ans de ça.

– Pour Hemingway, je sais. Celui-là je ne l’ai pas raté.

– Vous êtes sûre que c’était Hemingway ?

– Oh, pour ça, oui !

– Et comment se fait-il que vous ne soyez par sûre que votre Céline soit le bon ? »

Nick s’est aussi engagé, sur la demande d’un jaloux, à surprendre au lit avec son amant, Cindy, sa femme infidèle,  et à éloigner d’un croque-mort une extra-terrestre nommée Jeannie Nitro, « cette pute devait avoir des méga-pouvoirs. »

L’aspect loufoque de cette histoire m’a plu. J’ai ri parfois aux éclats, parfois « jaune ». J’ai souvent souri.

Puis je me suis ennuyée.

Puis j’ai été intéressée. C. Bukowski sous ses allures de vagabond alcoolisé de la littérature et de provocateur patenté, est un auteur qui pense. Avec désinvolture. Tout un art. Il est un génie en son genre. Parler de la mort en ne disant pas des inepties, tout en ayant l’air d’en dire, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est peut-être d’ailleurs dans la simplicité que l’on reconnaît les vrais génies.

Puis, j’ai bu, pardon, lu, plus qu’à mon habitude, avec une grimace en guise de paille.

Puis je me suis encore ennuyée. 

Puis j’ai été dérangée (tout de même) par l’outrageuse paillardise de l’auteur.

Puis j’ai aimé le style. Malgré qu’il en ait, c’est un vrai écrivain. J’ai été surprise par ses envolées lyriques: « Je me recroquevillai sur mon fauteuil. Je n’étais né que pour mourir. Que pour pivoter comme le dernier des rongeurs. Amenez les choeurs. Que la cérémonie commence, que le voyage au bout de la nuit s’achève. » Les dialogues sont  détonants et souvent drôles:

« Grovers, pourquoi restez-vous muet ?

– J’attendais que vous parliez le premier.

– Mais pourquoi ?

– Bof ! »

Puis, derrière cette histoire abracadabrante j’ai été émue de voir l’homme, le vrai, l’auteur, qui sait qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre [3], derrière son personnage dépressif qui fera long feu lui aussi: « Je commençai à flipper sévère. Ma vie avait-elle un sens ? Je n’existe que si je poursuis un but, que si les lumières scintillent, que si je suis fasciné, que si je succombe à la tentation. Or voilà que je faisait la conversation avec la mort. »

C’est donc un livre pas sérieux sur la mort ou sur la vie avec la mort au bout : « Chienne de philosophie ! L’homme est né pour mourir. Impossible de nier l’évidence. On se rattache à tout ce qui passe et on attend. On attend le dernier métro. On attend une paire de gros nibards dans une chambre d’hôtel, une nuit d’août à Las Vegas. On attend que les poules aient des dents. On attend que le soleil baise la lune. Et en attendant on se raccroche à n’importe quoi. »

Pour terminer, je dirai qu’ il me reste un bon souvenir de cette lecture. Et une leçon sur la littérature. « La folie a toujours été affaire de comparaison. Mais qui décide de ce qui est normal, hein ? » Comme la littérature, hein ? Aimer ou ne pas aimer ce roman devrait relever d’une question de goût, pas d’un jugement de valeur. A mon avis.

***

Charles BUKOWSKI, Pulp, Folio, 190 pages.

Postface et traduction : Gérard Guégan. Publié aux États-Unis en 1994, en France en 1995.

[1] Le Faucon maltais (The Maltese Falcon) est un film américain de John Huston sorti en 1941, d’après le roman policier du même nom de Dashiell Hammett. (Wikipédia)

[2] Peut-être la réponse est-elle dans son poème « Comme le moineau »? :

Comme le moineau

Pour donner la vie il faut prendre la vie,
et comme notre peine tombe plate et creuse
sur une mer de sangs innombrables
je passe au-dessus des grosses masses convulsées bordées
de créatures pourrissantes aux jambes blanches, aux
ventres blancs
mortes longuement et qui se révoltent contre le
spectacle environnant.
Chère enfant, je ne t’ai rien fait que le moineau
ne t’ait fait, je suis vieux quand c’est à la mode d’être
jeune, je pleure quand c’est à la mode de rire.
Je t’ai détestée quand cela aurait exigé moins de courage
de t’aimer.

Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, 1969, Points. Trois poèmes

[3] Atteint d’une leucémie, il est plus que probable que Charles Bukowski savait, écrivant ce roman, que ce serait son dernier. Il est mort le 9 mars 1994.

***

Vous trouverez la liste des liens vers les articles sur Pulp, en hommage à Goran, en cliquant ici:

https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2023/09/pulp-charles-bukowski.html

16 commentaires sur “Pulp

  1. Bonjour Ana-Cristina ! Belle chronique ! Je ne me souvenais pas de ce poème sur « Le Moineau » et il est tout à fait beau et en accord avec « Pulp ». J’ai l’impression que tu as tout de même apprécié ce roman malgré quelques moments d’ennui, et c’est vrai qu’avec le recul des semaines j’ai moi aussi gardé un bon souvenir de ce « Pulp » !
    Bonne journée ! Bien amicalement.
    Marie-Anne

    Aimé par 1 personne

    1. Oui j’en garde un bon souvenir. Il n’est pas du tout improbable que je lise un autre livre de Bukowski. Peut-être « Le capitaine est parti déjeuner » , récit autobiographique que tu cites dans ta chronique sur « Pulp » . J’ai envie d’en savoir plus sur cet auteur, mais aussi sur cet homme.
      Merci Marie-Anne pour ton commentaire. Bon vendredi, amitiés

      Aimé par 1 personne

      1. On m’a conseillé « Contes de la folie ordinaire » et, en effet, c’est l’un de ses plus connus. Il y a aussi « Journal d’un gros dégueulasse » mais, là, pour le coup, le titre me plait nettement moins 🙂
        Bonne fin de semaine Ana-Cristina ! Amitiés

        Aimé par 1 personne

  2. Très bon billet en effet ! Je me suis personnellement surtout ennuyée, d’une part parce que l’humour, certes présent, a rarement atteint son but en ce qui me concerne (j’ai parfois souri, mais jamais ri) d’autre part parce qu’ayant lu d’autres titres de cet auteur, je le sais capable de mieux, d’un point de vue stylistique..
    Merci en tous cas de nous avoir accompagnés dans cet hommage, j’ajoute un lien vers ton article dans le récap des participations.

    Bon week-end !

    Aimé par 1 personne

    1. J’ai trouvé que « Pulp » ne manquait pas de style, mais n’ayant rien lu d’autre de Bukowski…
      Quel titre me conseillez-vous (pour le style) afin que je puisse comparer ,  « Contes de la folie ordinaire » , « Journal d’un gros dégueulasse », « Le capitaine est parti déjeuner », un autre ?
      Merci beaucoup de vous occuper de la récolte des liens vers les articles. Ils feront une joli gerbe à poser sous le nom de Goran. Bon dimanche !

      J’aime

      1. Je dirais que « Journal d’un vieux dégueulasse » donne une bonne idée de sa capacité à mêler sordide, vulgarité et poésie ! Il faut juste s’attendre à grincer des dents à la lecture de passages franchement misogyne, mais il y exprime aussi une détresse émouvante.

        J’aime

    1. Je pense que ce livre ne peut de toute façon pas laisser indifférent. Ah si,chez certain lecteur il a provoqué parfois de l’ennui et rien d’autre. Bah, c’est une expérience à tenter. Comme un mélange improbable de différents alcools. Un cocktail décoiffant. Moi, j’en garde un bon souvenir. J’ai même envie d’en lire un autre. Merci pour votre commentaire Sacha, bon dimanche!

      J’aime

Laisser un commentaire